Sysy The Assemblor Reloaded

Prologue

Une grève de la SNCF : qu'y a t'il de mieux comme pire prétexte pour mettre le feu à sa carte bleue, et à son appartement par la même occasion ?

Jeudi dernier, lorsque s'envole le dernier espoir de train de nuit pour une station de sport d'hiver, le Sysy passe au plan "B" dans la liste des occupations possibles sur un long WE de 4 jours, piochant finalement dans une longue liste improbable d'activités inavouables.

Chapitre Un : noirs desseins

Se mêlant aux ombres des nombreux addicts modernes - depuis peu couve peu dans ses yeux le feu intérieur qui l'identifie comme un des leurs - il se glisse le vendredi même, d'un pas assuré par la connaissance refoulée de ces lieux honnis, vers ce nouveau temple de la consommation de masse, cet autel de sacrifice au dieu païen informatique, cette fumerie moderne de silicium, la rue...
MONTGALLET !!!!!
(tin-dinnnnnnn....)

Que va t'il y faire ? Quels sont ses desseins ? Pourquoi ce va-et-vient lancinant devant les vitrines, entre les boutiques, ces dialogues hachés et répétitifs avec des vendeurs fiévreux ? Que cherche-t-il dans ses piles de marchandises avariées ? Quelle est sa quête ?
La langue est abconse et ésotérique, aussi opaque pour les néophytes qu'une litanie psalmodiée :
"Qu'est ce que vous avez comme Geforce 6800 GT en AGP ?"

Pourtant il en est déjà persuadé inconsciemment, elle est là, dans le premier cagibi visité. Il continue son parcours mais il sait qu'il rebroussera chemin. Il n'a pas fait attention aux signes, le message était pourtant clair, « Yes ! » comme le cri qu'il pousserait si sa conscience obsédante lui accordait un peu de répit. De marque Galaxy, avec son système de refroidissement "Glacier", l'objet de ses coupables convoitises.
Et subitement, la liste d'emplettes grossit, c'est l'orgie consumériste, la débauche et la fange : une alimentation Tagan 420W, un ventirad Aerocool, un barrette de 512Mo de RAM…
La rage compulsive a frappé, il n'était pas vacciné. Le Sysy va se doter d'une arme de mort terrifique : un PC à la fois surpuissant et silencieux !
(Tin-dinnnnnnn….)

L'ivresse efface de sa mémoire le chemin du retour. Interrogé sur ses activités cet après-midi là et forcé de fournir un alibi, il nierait de bonne foi mais sans pouvoir justifier de son emploi du temps, dans l'incapacité de son surmoi à assumer les actes qu'il vient de commettre.

Chapitre 2 : la chute du damné

Arrive le samedi et comprenant que sa présence ne pourra s'opposer à la consommation finale du rituel satanique, sa compagne préfère vider les lieux et se réfugier dans la prière et le giron maternel, et ne pas assister aux ablutions démoniaques qui s'apprêtent. La consultation des viscères se fera donc dans l'intimité d'un duel millénaire, l'homme contre son destin, l'organique contre le minéral, cuivre et sueur, sang et silicium.

Le scénario va pourtant déraper et tourner au cauchemar, le vrai, que redoute tout assembleur improvisé. A force de grandes incisions, de maniement du forceps, de coupes franches dans les organes flétris et obsolètes, il a fallu de la persévérance et - il faut l'avouer - une certaine forme de sadisme, pour insérer les kilomètres de triperies électriques de l'alimentation format sumo, un radiateur en cuivre envahissant, une nouvelle barrette de RAM et cette obscène carte graphique obèse, dans un boîtier fatigué aux limites initiales supposées maintenant loin derrière dans le temps et l'espace.

Rien : une lumière qui s'allume sur la carte-mère, un sifflement suraigu, et puis, rien.
Pas d'embrasement du ventirad (pourtant doté d'involontaires LED), pas de douce rotation des ventilateurs de l'alimentation, pas de souffle tiède et délicat sur la joue du Sysy, pour sécher la larme qui lentement sillonne ses rides à peine esquissés…
Quelle malédiction terrible, quel sort injuste lui a été jeté pour que ses assemblages informatiques plantent systématiquement si totalement dès le premier bouton ON poussé ?

Nouvelle tentative et soudain !
Un éclaire zèbre le boîtier dans un claquement sec comme un coup de trique ! Plus de peur que de mal, et pas d'électrocution au bilan ni même de châtaigne.
Mais la lumière rouge, seul témoin atavique d'un soupçon d'âme chez la machine agonisante, cligne et s'éteint.

Le problème n'était peut-être encore que logiciel, ou spirituelle -qui sait ? - il est devenu cruellement physique. Comme une lueur d'espoir dans son tourment d'incertitude, un essai avec son ancienne alimentation vieillotte calme la froide angoisse qui lui étreignait le cœur et rince les flots de bile qui lui inondait l'estomac.
CM, CG… Tout tourne, mais pas de doute : l'alimentation TAGAN 420W Black Edition a morflé, et salement.

Chapitre trois : la pénitence

Une fois de plus, le Sysy enfile sa robe de bure, chausse ses sandales au cuir fatigué, tandis que ses doigts se referment sur son bâton de pèlerin usé. Il reprend sa route dans l'après-midi, en sachant qu'il devra cette fois-ci faire acte de vilénie, oui : de mauvaise foi, pour expier sa faute.

« Pas de SAV le samedi » annonce, en police taille 120, une feuille jaunie collée au comptoir comme pour mieux narguer notre pénitent à la conscience torturée ; des crânes ou des pendus accueillaient parfois plus chaleureusement les visiteurs douteux des bourgades de l'ouest américain.
Effectivement, dans la communion des corps échauffés, la foule se presse pour le plus grand malheur des CD vierges et autres articles à bas prix.
A son tour, notre héros se présente devant un proche cousin de Jet Li et prononce d'une voix qui va en s'affirmant : « J'ai acheté une alimentation hier et elle n'a jamais démarré. »
Une seconde passe, ou l'éternité peut-être : que va faire le vendeur ? Pousser un hurlement de chat sauvage ébouillanté, faire gonfler tous ses tendons du cou et fendre le comptoir du tranchant de la main ? Attraper l'importun client par la carotide et lui dire ses quarte vérités en face-gros-plan-façon-Sergio-Leone ? Répéter comme un leitmotiv la doctrine portée sur la pancarte culpabilisante ?

« Vous avez la facture ? »
Oui.
« On va faire un test »
Est-ce une lueur qu'entrevoit le Sysy au bout de son tunnel ?

Quelques minutes après : « elle est morte, on va la changer »
Non, ne pas pousser de long soupir de soulagement. Et mes mains, vous pouvez arrêter de suer, la flaque va finir pas se voir. Pourquoi ne pas tenter un peu d'humour pour paraître plus décontracté ?
« J'ai acheté une TAGAN pour qu'elle soit silencieuse, j'ai été servi ! »
Ca marche, il se bidonne ! L'affaire est dans le sac ; renforcé le sac, avec les 2kgs de la bête.

Au passage, il n'aurait certainement pas été opportun de poser une question au vendeur sur comment brancher cette %@§ #& d'alimentation P4 (sur une CM pour AMD mais bon…), n'est-ce pas ? En y repensant après coup, des fois que ce soit justement ce qui aurait grillé l'alim… Hum…

Notre héros peut s'en retourner chez lui. Il a triomphé, d'une manière peu scrupuleuse certes, mais sa cause était juste. Docilement, les nuages s'écartent de sa route jusqu'à l'horizon tandis qu'un chœur de trompettes fait résonner le firmament.

Chapitre quatre : rédemption et récompense

Méthode, calme et précision, le PC est remonté pièce par pièce le dimanche après-midi (après une métamorphose intermédiaire en joyeux bouffon pour bébé souriant, mais ceci est une autre histoire.)
Contact :
Rien !
(Tin-dinnnnnnn !!!!)
Existe-t-il un mot plus fort qu'abattement ? Désespoir et malédiction : un nouvel essai avec l'alimentation antérieure aboutit au même résultat, le néant. Ce sont de bonnes grosses mains, pleine de vigueur, mais elles n'ont pas su monter ce PC.
Sysy, Sisyphe, est-il surprenant que le destin de cet Homme soit la souffrance et la peine du labeur mille fois recommencé ?

Sa muse de retour le dimanche soir, le trouve en train d'éplucher les légumes pour la soupe, les joues ruisselantes de larmes, la faute en incombant à l'épluchage des oignons et poireaux.

A cet instant, qu'est ce qui va le mettre sur La Voie ? Quelle aura été la source de l'étincelle de la Connaissance, cette Omniscience fugace qui aurait terrassé peut-être un esprit moins aiguisé ?
Le Destin lui-même a-t-il reconnu son acharnement et, pris de remords, lui a-t-il accordé une Vision immanente du Tout Unifié ?
Nul ne le saura jamais.
Mais le Sysy, dans un geste d'une audace inouïe, échange miraculeusement les fils des switch du bouton POWER et du bouton RESET.

Contact : dans un soupir ténu, le ventirad s'illumine et la lumière céleste des Jacky-diodes bleues et orange projettent leurs milles feux sur la face béate d'un Sysy sanctifié.

Epilogue

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GEFORCE 6800 GT POWWWWAAAAAAAAAAAAAAAAA !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
lol